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Le Proces

  • Le procès (IV)

    La suite du Procès. Si vous venez d'arriver, commencez par le texte 1 ! Je précise toujours que j'ai changé les lieux, dates, noms et prénoms. L'ensemble des textes se trouve dans le dossier "Le Procès" de la colonne de droite. Ce quatrième texte est le dernier de la première série.

     

    « Essayez de parler, n’ayez pas peur. C’est important que vous puissiez dire ce que vous avez vécu ».

     

    Sympa, le président de la cour d’assises. Ce n’est pas tous les jours qu’on parle de cette manière à un accusé.

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    « Vous allez me racontez le contexte. Nous allons arrêter à, disons 10 jours avant le drame. »

     

    Tétanisé l’accusé. Il est incroyablement imprécis sur sa famille, comme s’il ne la connaissait pas complètement.

      

    D’ailleurs il ne la connaît pas complètement. Il y a bien ses frères aînés, Philippe, Marc, sa sœur Agnès, son petit frère Etienne. Et un demi-frère. Comment déjà ? il ne le connaît pas. Son père a eu un enfant hors mariage.

      

    « -Comment avez-vous été amené à reprendre la ferme ? »

      

    Ben… Je sortais de mon BTS et mon père avait décidé d’arrêter. Il était fatigué. Luc avait quitté la ferme, Philippe aussi.  Il aurait bien repris la ferme, Philippe, mais plus tard, il m’avoué : la ferme oui, mais sans notre père. Personne ne voulait reprendre.

     

    Alors moi je me suis proposé. En plus, j’avais envie de mettre en application les méthodes que j’avais apprises à l’école. Mais papa, il n’avait pas envie que ce soit moi.

     

    J’ai pris des parts dans la société.

     

    dossiers.jpg« C’est votre père qui était propriétaire ? »

     

    Il a pris sa retraite mais il avait 49% des parts, j’avais 46% et Agnès 5%.

     

    « Le problème c’est qu’au bout de six mois ça s’est dégradé.   Vous pouvez me dire ce qui s’est passé ? »

     

    Non il ne peut pas. Alors c’est le président qui va le dire.

     

    « Il utilisait le tracteur et le matériel agricole pour ses propres besoins, c’est ça ?

    La tension est montée. Sa femme a pris parti. Il lui a donc dit qu’elle allait devoir se débrouiller pour vivre, c'est-à-dire qu’il a arrêté tout versement d’argent sur le compte de sa femme.

     

    Ensuite, il a pris possession du rez-de-chaussée, c’est lui qui possède tout le patrimoine, et la maison s’est retrouvé divisée en deux, c’est ça ? »blé.jpg

     

    Ensuite il y a eu cette fameuse vente de blé. Votre père a essayé de la détourner : qu’elle soit réglée en son nom propre, pas sur le compte de la société. 20 000 euros.

     

    Et 12 jours avant le drame, il y a eu cette dispute à propos de la récolte de lin.

     

    Votre père avait déjà menacé de prendre son fusil, c’est ça ? »

     

    C’est ça.

  • Le Procès (III)

    Suite du Procès. Pour les deux premiers textes, vous pouvez cliquer ici (1) pour le tout premier texte ou ici (2) pour le deuxième ou aller dans le dossier "Le procès" de la colonne de droite pour le texte numéro deux. Voici que le journaliste entre en scène.

     

    « Sur son banc, cet homme de trente ans ressemble à un grand adolescent .

    Et le moins qu’on puisse dire c’est que sa personnalité semble à son image à la fois transparente et complètement indéchiffrable.

    Les gens qui le côtoient le voient comme un garçon appliqué, courageux, gentil, plutôt éveillé.

    Les études sont réussies. Un BTS et ensuite une école qui lui permet de devenir ingénieur agricole en 2002, la voie est toute tracée.

    Et pourtant, Thomas est impénétrable.

    Il est effacé.

    Il est timide.

    Pendant l’enquête, un prof de philo parle de lui comme un « enfant sans histoire ».  3711222265_b1f61d4283_z.jpg

    Et du coup, le président de la cour d’assises s’arrête longuement sur cette expression : « un enfa nt, q ui plus est, sans histoire, comme si vous n’aviez aucune histoire propre » dit-il avant d’ajouter : c’est peut-êtr e le poids de la famille ? »

    Une famille de 5 enfants, dont il est le quatrième.

    Et c’est  lui, en 2003, qui va reprendre l’exploitation familiale d’une centaine d’hectares. Parce que pers onne d’autre n’en a vraiment envie. L’ombre du père, sûrement. 

    Le poids de la famille, le poids du drame, tout ça tétanise Thomas quand il est interrogé.

    Il ne trouve pas ses mots.

    Il ne rassemble pas ses souvenirs.

    Chaque mot, chaque phrase prononcés est une épreuve.

     

    Au Palais de justice, Nicolas Balu…. »

     

    J’adore les procès mais c’est bien souvent terrible. C’est cruel. C’est prenant. On pénètre dans la vie des gens comme jamais. On est au cœur de l’humain. Les deux accusés sont assis, têtes basses, sur leur chaise. Sans parler. Sans un mot. L’un d’eux ne décolle pas les yeux du plancher. Il est ailleurs. Ils attendent. Ils sont perdus dans leurs pensées.

     

    Et moi , le petit journaliste , au bout de mon Bic, le moindre mot, bien choisi ou mal trouvé, bien senti ou mal pensé , je peux tuer, dénaturer, sauver, plus encore que dans tout autre exercice.

    Trouille du journaliste presque débutant.

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    photo Boris Herrera

     

    En plus, je fais mes interventions dans l’immense salle des pas perdus, chaque mot résonne, on m’entend à 40 mètres, je déteste ça.

    D’ailleurs,  plus tard, dans un autre palais de justice, lors d’un procès de prêtre pédophile, un quidam viendra m’arracher le papier que je faisais en direct parce que ce que je disais ne lui plaisait pas.

  • Le Procès (II)

    Voici le deuxieme texte du procès..le premier est ici. Promis, je vous fais un dossier si vous manquez l'un des textes.  Je le répète j'ai changé  les noms, les lieux etc.

     

     

    Nom : Blagnot

    Prénom : André

     

    Age 48 ans

    Je suis capitaine de gendarmerie.

     

    Je le jure

     

    A l’époque j’étais au SRPJ, mais au départ c’était la gendarmerie de  Larinielle qui a été saisie par le juge.

     

    Le 13 mai, madame Delain a signalé la disparition de son mari. Il était parti sans sa piqûre d’insuline et avec un fusil. Ses amis avaient découvert sa C15 Citroën. D’ailleurs les gendarmes avaient vu le véhicule la veille et ils avaient constaté que celui-ci était fermé.

    forêt.jpgNous avons organisé une battue dans l’après-midi et nous avons découvert  le corps dans le bois, les mains jointes, la face à même la terre. La tête était en état de décomposition avancée les mains ensanglantées. La première phalange  du majeur de main droite était éclatée.   Il y avait six plaies au cuir chevelu. Dans le fusil on a constaté que deux cartouches étaient percutées

     

     

    La victime ? Elle nous a été présentée comme une personne respectée, à l’autorité naturelle et paternelle, à la santé précaire.

     

    On a travaillé sur sept hypothèses différentes. Parmi elles, il y avait la jalousie. La victime s’était porté acquéreur du bois en 2004 et ça avait fait quelques envieux. Il n’avait aucune relation extra conjugale connue. 4505779281_54898665a6_s.jpg

     

    Et puis il y  avait la possibilité du drame familial. A vrai dire on s’y est intéressé tout de suite. Le jour de la première audition,  Thomas avait une  bosse au front, mais il a dit que ça n’avait rien à voir.

     

    On a trouvé des traces de sang masculin, du sang sur le fusil

     

    Un mois plus tard on a  mis toute la famille en garde à vue,

     

    Des mobiles possibles, il y en avait ! la jalousie…de gros intérêts financiers  autour de l’exploitation agricole familiale, le tout dans une ambiance  extrêmement … « difficile » depuis six mois, extrêmement tendue

     

    Alors, oui, on a mis toute la famille en garde à vue.  Sauf Luc et Phillipe, je précise

     

    Non, je n’ai rien à ajouter

     

     

  • Le procès (I)

    Rentrée un peu spéciale pour Faces de blog. J'ai gardé précieusement dans un tiroir les notes d'un procès d'assises que j'ai suivi il y a pas mal d'années maintenant. Ce n'était pas un procès retentissant, juste marquant pour moi. Comme presque tout procès. Je vous propose de le suivre en fil rouge pour un certain nombre de semaines (ce qui n'empêchera pas d'autres portraits d'être publiés). Une dizaine de textes composent ce Procès. J'ai changé les dates, les lieux, les noms, les prénoms...

     

     Je ne voyais plus que ses yeux et j’ai senti qu’il allait tirer.

     

    Je lui ai donné des coups.

     

    J’ai essayé de le bouger, il ne réagissait plus.

    J’ai essayé de prendre son pouls, je n’ai rien senti.

     

    J’ai entendu mon frère qui descendait l’escalier.

     

    Je me suis dit que papa s’était cogné la tête contre la cheminée.

     

    J’ai pensé qu’il était mort.

     

    Je ne voulais pas admettre ce qui s’était passé, j’ai voulu cacher la vérité.

     

    C’est la vue de l’arme qui m’a fait penser à monter cette scène dans le bois.

     

    Je suis allé chercher un sac pour poser papa dessus. Le transporter. Etienne était parti s’habiller. J’ai pris des gants pour ne pas laisser d’empreinte. On l’a mis dans la voiture. On a poussé la voiture.

     

    Direction les bois. Une fois là-bas on a sorti le corps et on l’a éloigné comme on pouvait. Je suis revenu à la voiture que j’ai fermée.

     

    J’ai demandé à Etienne de tirer une cartouche pour faire croire qu’un coup de feu avait été tiré. Et un deuxième coup de feu est parti quand mon frère a posé le fusil.

     

    On est revenu à la ferme. On a nettoyé la cuisine.

     

    La chienne a aboyé.

     

    C’est le seul bruit que ma mère et ma sœur ont entendu.

     

    Il y avait du sang sur ma chemise. On l’a mise dans un sac poubelle. On l’a jeté le lendemain dans un conteneur.


     

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