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  • Plumpy nut et le Dallas humanitaire

    De la pauvreté (cf les post précédents) à la malnutrition, il y a un pas que je franchis aujourd'hui (avant de fêter les un an de ce blog, ce sera plus léger !). C'est un article de BBC Afrique.com qui a attiré mon attention. Un produit miracle pour nourrir les enfants, issu d'une entrpreprise française. Un brevet. Des sociétés américaines qui veulent faire la même chose ou presque. Alors ils attaquent devant la justice. La levée des restrictions peut sauver des millions d'enfants disent-ils. Drôle de bataille juridique...

    Pas de Face de blog sans portrait, vous le savez...

    portrait plumpy.jpg

     

    C'est beau, n'est-ce pas ? C'est une photo de l'Unicef. Vous avez vu ce magnifique petit sachet en bas à gauche ? C'est du Plumpy Nut : beurre d'arachide, huile végétale, lait en poudre, sucre auxquels sont ajoutés des vitamines et des minéraux.

    Le tout est une pâte prête à l'emploi pour les nouveaux nés jusqu'aux enfants de deux ans, atteints de malnutrition sévère. Pas besoin d'eau et donc pas besoin d'aller à l'hôpital pour obtenir de l'eau propre. Le Plumpy Nut se prend sur place. Et en quelques semaines, les enfants se rétablissent. Le produit fait des miracles, il est devenu un standard de l'aide alimentaire ces cinq dernières années.

    Il est breveté, bien évidemment.

    Le Plumpy Nut a été mis au point et fabriqué par Nutriset, une petite entreprise familiale de Malaunay près de Rouen, il y a plus de dix ans, en collaboration avec l'IRD (l'Institut de Recherche et de développement). Il a mis des années à être reconnu, semble-t-il. L'UNICEF et MSF l'ont adopté et le produit révolutionne l'urgence humanitaire.

    25 millions d'enfants de moins de cinq ans souffriraient de malnutrition sévère dans le monde. Plumpy Nut couvre un certain nombre de pays, notamment africains, mais pas tous, loin de là. Il y a du monde à aider. Il y a un marché.

    plumpy3.jpgAh ! si Nutriset voulait bien ne pas empêcher la concurrence d'exister, si Nutriset voulait bien ne pas empêcher des millions d'enfants d'avoir accès à cette pâte que tout le monde peut fabriquer (parce qu'elle n'est pas bien compliquée à mettre au point). Voilà l'argument de la concurrence. Car il y en a une désormais.

    Notamment celle de Mama Cares et Breedlove foods, associations américaines à but non lucratif qui ont elles-même mis au point une pâte  semblable. Mais le brevet de Nutriset est également déposé aux Etats-Unis. Et voilà que nos deux fondations, en décembre 2009, décident d'attaquer Nutriset et veulent casser son brevet devant les tribunaux de Washington !

    Soyons honnêtes, les réponses de Nutriset sont largement valables : le problème, explique la communication de la société, ce n'est pas la production insuffisante mais le manque de financements internationaux  ou de système en place pour fournir ces produits (BBCAfrique).

    Dans plusieurs pays d'Afrique, l'entreprise a mis sur pied des partenariats locaux (des franchises notamment) pour fabriquer du Plumpy Nut avec des produits locaux. L'exposer à la concurrence internationale, ce serait handicaper l'économie locale. Vrai et malin à la fois : l'argument fait bondir les plaignants, "mauvaise foi ! C'est pour protéger leur Plumpy Nut"!!! se désolent-il. plumpy4.jpg

    On les comprend mais cela fait un peu sourire : les Etats-Unis sont les plus grands pourvoyeurs d'aide alimentaire au monde mais... la législation américaine impose que la quasi totalité de l'aide financiere soit utilisée pour acheter des produits américains, empaquetés pour partie aux Etats-Unis et transportés sur des bateaux américains. Idéal pour les surplus agricoles. Et pour la petite histoire, l'avocat des plaignants appartiendrait au Peanut Institute, l'institut de promotion de la cacahuète américaine (cf l'article de Philippe Bernard dans Le Monde et Temoust)

    On sourit encore un peu plus (non je ne suis pas anti-américain !!) à la lecture de cet article de Newsweek intitulé "the plumpy crusader", dans lequel le journaliste fait l'éloge d'Edesia qui va enfin transformer "des décennies d'aide humanitaire américaine contreproductive" et de protectionnisme humanitaire.

    Edesia ? Une compagnie à but non lucratif lancée par Nutriset avec une fondation américaine. Installée aux Etats-Unis, Edesia va nouer des partenariats sur des projets de recherche mais également produire du Plumpy Nut !!! Edesia ou comment contourner un problème et recevoir des subventions : bien joué Nutriset !

    Mais qui a raison ? MSF, qui a beaucoup fait pour le Plumpy Nut, s'est fendu d'une lettre pour mettre les choses au point : un seul fournisseur mondial, est-ce bien raisonnable dans ce domaine ? Il faut sécuriser la chaîne d'approvisionnement. Il faut pouvoir se mobiliser vite et massivement en cas d'urgence. Le brevet doit être une exception.

    Les tribunaux américains ne plancheront probablement pas sur cette problématique (je crois que la question est : la recette du Plumpy Nut est-elle trop générale pour la breveter ?). L'enjeu est pourtant bien là. Décision dans quelques semaines...

    plumpynut.jpg

     

    Dans quelques jours, toujours pas d'équipe de France de football, d'Anelka ou d'Evra sur Faces de blog mais Faces de blog qui fête ses un an !

    Keep in touche comme dirait Domenech à Anelka.

     

  • Esther Duflo III (la fin)

    Résumé des épisodes précédents : une  trentenaire d'Asnières-sur-Seine est-elle en train de révolutionner l'économie du développement ? Les essais cliniques appliqués à l'économie, voilà la méthode (déjà un peu pratiquée dans les années 60 aux Etats-Unis, paraît-il). Oublions les grandes théories, ou encore le fatalisme nous dit Esther, concentrons notre intérêt sur les petites choses. Scientifiquement. Et tentons d'en tirer des leçons. On pourrait enfin éclairer les choix politiques. On peut vraiment ?

    duflo conf2.jpg

    Ben non, pas vraiment.

    En tout cas c'est ce que disent les critiques d'Esther Duflo.

    Les résultats ne sont valables que dans un contexte donné à un moment donné. Du coup, le labo contre la pauvreté a décidé de multiplier les expériences similaires. Par exemple, en Inde, une étude sur les effets de la mise en place de quotas en faveur des femmes et des minorités locales a été évaluée dans 24 Etats.

    Mais au bout du compte, pour citer un économiste de la Banque Mondiale (hé oui je cite des économistes de la Banque Mondiale moi. Celui-ci s'appelle Martin Ravaillion et il est repris dans un excellent article de sciences humaines.com) : « le nombre d’expériences à sélection aléatoire nécessaire pour tester ne serait-ce qu’un seul programme de portée nationale, pourrait bien être prohibitif ».

    Et puis le terrain, c'est gentil mais les économistes aiment les théories économiques, c'est normal.

    Alors ces petites expériences mises bout à bout peuvent-elles contribuer à une théorie ou des enseignements généraux ?

    Oui dit Esther Duflo : son labo répond à la critique en développant des modèles économiques à partir des résultats des expérimentations. Je n'alourdirai pas le propos en me lançant là-dedans. A ceux qui aiment l'économie je renvoie à l'excellent site SES-ENS et son dossier sur Esther Duflo. Disons simplement que ces modèles modifient la théorie de la demande dans les pays pauvres.

    Et alors ?

    C'est simple ! On débouche notamment sur l'explication de comportements locaux qui entretiennent la pauvreté (exemple : la notion d'incohérence temporelle chez les paysans.)

    lutter-contre-la-pauvrete-1-le-developpement-humain-esther-duflo.jpg

     

    Oui redit Esther Duflo : elle a tiré deux livres de son action : la politique de l'autonomie (le micro-crédit et la lutter-contre-la-pauvrete-2-la-politique-de-l-autonomie-esther-duflo.jpggouvernance locale ne remplacent pas les politiques publiques) et le développement humain (des solutions pour améliorer la santé et l'éducation).

     

    Au bout du compte et en cherchant bien, on en lira des critiques ... je vous fais grâce de quelques unes (fausse bonne méthode, effet de mode, l'expérimentation sociale nouvelle forme de pensée dominante etc.)

    So what?

    On ne m'empêchera pas de penser qu'un vent pas mauvais souffle enfin dans la lutte contre la pauvreté. Utile et fécond. On en reparle lorsqu'elle obtiendra le Nobel d'Economie ?

     

  • Esther Duflo II

    Voilà enfin la suite... Entre mes deux textes, un certain nombre d'articles très intéressants ont fleuri sur le net concernant Esther Duflo.

     

    Se pencher un peu sur les travaux d'Esther Duflo, c'est prendre conscience d'une chose surprenante : il n'y avait pas d'évaluation sérieuse des politiques ou des actions menées dans la lutte contre la pauvreté. Et, moins surprenant, l'économie a encore un mal fou à se colletter avec la réalité d'où peut-être le succès des travaux d'Esther Duflo.

    duflos couleur.jpg

    Sa méthode et celle de ses collaborateurs au sein du laboratoire d'action contre la pauvreté au MIT : les essais cliniques appliqués à son champ d'action. Sur le terrain, vous prenez, de manière aléatoire, un groupe  témoin et un autre dit "traité" ou groupe de contrôle. Pour les essais cliniques, vous introduisez le médicament dans le groupe traité et pour mesurer ses effets, vous comparez.

    Transposons dans le labo d'Esther Duflo : dans la cadre d'un programme de soutien scolaire en Afrique, vous donnez plus de livres à des classes choisies au hasard. Vous  n'en donnez pas à d'autres. Et vous comparez le résutat final, l'effet du dispositif. Cet exemple est souvent choisi lorsqu'on décrit la méthode Duflo. Il est assez spectaculaire parce que justement, on s'est rendu compte que donner plus de livres à une classe pour que les enfants obtiennent de meilleures notes n'avait pas forcément d'effet.

    Au fil des expérimentations, on a trouvé :

    Dans la région considérée, le Kenya, il fallait lutter contre ... les parasites intestinaux. En leur donnant un traitement contre les vers, les enfants étaient bien plus présents à l'école, et les résultats meilleurs.kenya.jpg

    Des exemples, il y en bien d'autres. En voilà un intéressant quant aux effets d'un programme de santé, toujours au Kenya : il consistait en la distribution de moustiquaires imprégnées d'insecticide à la population. C'était gratuit, succès au rendez-vous. Les utilisateurs ont vu l'intérêt du produit. Ils en ont ensuite acheté et incité les autres à en acheter.

    Je dois reconnaître qu'au fur et à mesure de la lecture des résultats, j'ai l'impression que, dans certains cas, on redécouvre le bon sens. Il faut croire qu'en matière de développement, on l'avait perdu.

    Et l'une des forces du Poverty Action Lab d'Esther Duflo c'est d'être sur le terrain, en amont des programmes. A l'heure actuelle le PAL aurait mis en oeuvre 250 programmes d'éducation et de santé dans une trentaine de pays avec les ONG et les acteurs locaux.

     

    Très très bien tout ça, mais est-ce que, plus généralement, la méthode permet d'échafauder des politiques générales de lutte contre la pauvreté ?

    On en reparle demain ?

     

    PS : L'interview d'Esther Duflo qui parle de sa méthode, c'est ici.

    Par ailleurs, l'économiste a donné une conférence de presse en début d'année lors de la sortie de ses deux petits livres : Le développement humain, lutter contre la pauvreté (I) et La Politique de l'autonomie, Lutter contre la Pauvreté (II). Vous pouvez retrouver les vidéos sur le site La république des idées.

     

    Et puis surtout, alors que je cherchais le lien de La république des idées, je suis tombé sur ... Esther Duflo à France Culture en janvier 2010 chez Marc Voinchet. Elle explique tout.



  • Esther Duflo (I)

     

    Je ne sais pas si on en a beaucoup parlé en France -si on en a parlé- mais, revenant de Jordanie, je m'aperçois que la médaille Clark, qui récompense les économistes de moins de 40 ans américains ou vivant aux Etats-Unis, a été donnée à la française Esther Duflo.

    Depuis les débuts de Faces de blog, je m'étais dit que, d'une manière ou d'une autre, je ferai un billet sur elle, bien que je ne l'aie jamais rencontrée. Je peux attendre un éventuel prix Nobel, mais je préfere le faire maintenant.

     

    Parlons de moi (pas longtemps) : je viens d'avoir 40 ans. Et je me considère encore jeune.

    Et donc je reste ébahi, interdit, presqu'incrédule, un peu jaloux et prêt à douter de moi quand je vois qu'une jeune femme de 37 ans a déjà un passé de prof au Collège de France, au MIT (Massachussets Institute of technology), est classée par Foreign Policy parmi les intellectuels les plus influents au monde et est maintenant titulaire de la médaille Clark, la récompense la plus prestigieuse après le Nobel me dit-on. Est-elle un OVNI ? Elle n'en n'a pas pas l'air, voici sa photo :

    duflos NB.jpg

    (kalyan 3)

    J'avais connu son existence lors de sa nomination début 2009, au Collège de France pour animer la chaire "savoirs contre pauvreté". Car Esther Duflo est économiste du développement.

    On pourrait la présenter aussi comme l'a fait XXI (n°6) ou plus récemment le Journal du Dimanche : une fille de la classe moyenne, un père prof de math, une mère pédiatre, une famille de gauche et protestante qui vivait à Asnières. Un fille qui décoiffe et qui décolle. Normale Sup, doctorat en économie au MIT...

    Citons le JDD, qui résume la philosophie de la jeune fille :

    "Elle ne s’est pas contentée d’apprendre la pauvreté, la corruption, la famine sur le bout de ses doigts de première de la classe. Elle a posé le fil rouge de sa vie, pour le suivre sans faillir : l’existence des inégalités entraîne l’exigence des responsabilités."

     

    Et en tant qu'économistes, qu'ont-ils de plus que les autres, Esther et son équipe de chercheurs ? L'expérimentation sur le terrain et la méthode des essais cliniques transposés à son domaine d'activité : la lutte contre la pauvreté.

    On rentre  un minimum dans le détail de cette nouvelle façon de faire de l'économie et de tester les politiques de lutte contre la pauvreté ? Pas d'inquiétude, même moi, je crois que j'ai compris. Je vous raconte ça très vite ainsi que les réserves apportées par leurs contradicteurs. Car il y en a.