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espagne

  • Les sévillans (II)

    C'est un travelo donc. On en était resté là. La suite du texte de Michel del Castillo tiré de Nos Andalousies...

    Séville 122.jpgImmense, carré d'épaule, des pieds de footballeurs, une perruque rousse au dessus d'un visage chevalin outrageusement fardé, formant un plateau où tiendraient dix couverts, vêtu d'une robe d'été à pois rouges décolletée et brandissant au bout d'un bras musclé un sac blanc, que sa main de forgeron tient comme une massue. Son oeil noir, cerné de kohl, étincelle de fureur.

    "Ose prétendre qu'elle ne l'est pas, IMPERATRICE !, menace-t-il, d'une voix de baryton verdien. Ose donc !"

    Bien entendu, notre interlocuteur n'osera pas. Qui, du reste, oserait défier cette Gorgone en fureur ? Le spectacle qu'offre cette créature surréelle est si extravagant, les motifs de sa colère si saugrenus, que je l'observe avec stupéfaction, m'efforçant de contenir le rire qui me secoue. Il saute aux yeux qu'il vient de quitter le tapin pour applaudir "sa" Vierge, "son" Impératrice, dès que le paso aura tourné le coin de la rue, il retournera sur les quais pour pratiquer son métier. Les propos de notre voisin n'avaient rien d'offensant pour la Macarena, ni pour sa couronne, ils ne contenaient aucune intention maligne. Simplement, ils n'étaient pas assez laudatifs et notre Gorgone les trouvait, du coup, presque injurieux. D'où sa fureur, ses menaces ubuesques.

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    D'où vient que ce monstre, au sens étymologique du terme, me paraisse incarner la démesure andalouse, son comique involontaire, son caractère kitch ? C'est qu'il suffit de se promener au hasard des rues pour apercevoir partout ces notes discordantes, ces dissonances, plus évidentes encore depuis la disparition de Franco et l'instauration de la démocratie. Ce vieillard accroupi en plein centre de la ville, ses revues, ses journaux, étalés autour de lui ou accrochés à des fils, a-t-il fait exprès d'afficher, côte à côte, les images pieuses -Sacré-Coeur d'un rouge saignant, Vierges larmoyantes, saintes extatiques - et les albums pornographiques qu'il propose à la vente ? Ce voisinage hilarant ne choque apparemment personne. "C'est la démocratie" répondraient fièrement les passants, si on les interrogeait.

    (A noter que ce texte a été publié en 1985)sevilla enfant de choeur.jpg

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