Santa Fé, 600 kilomètres au nord-ouest de Buenos Aires. Prière et bidonvilles, amour et violence, jeunesse et détresse. Et des itinéraires encore incertains.
Des laudes aux vêpres, en passant par la messe, la journée de Sylvain -et des plus croyants du quartier- est rythmée par la prière. Point Coeur c'est aussi une communauté. Souvent des jeunes européens, plutôt de bonne famille, mais pas seulement. Chaque jour, il y ceux qui accueillent et font marcher la maison.
Les autres visitent les familles du quartier. Pour un coup de main, pour discuter. "C'est là que se nouent les amitiés. parfois il ne passe rien, parfois les personnes sortent de leur solitude. D'ailleurs, ça peut paraître surprenant mais combien de fois dans ce quartier pourtant vivant et peuplé ai-je entendu dire "je n'ai pas d'ami".
Sortir de la solitude, de l'enfermement, c'est cette femme timide qui fond en larmes pour raconter à cet enfant de 27 ans (à l'âge de cettte argentine on est encore enfant à 27 ans) de la banlieue parisienne qu'elle ne se remettra pas de la mort d'un de ses enfants, il y a si longtemps.
C'est Joël, d'habitude inabordable. Il n'a que sept ans et son frère qui trafique des armes et du Paco, cette drogue à base de résidu de cocaïne mélangé à du kérosène ou à de l'acide sulfurique et qui fait des ravages dans le quartier, lui montre le même chemin. Et pourtant, le temps d'une journée, Joël devient le gamin qu'il est avec les gens de Point Coeur : sa maman a pris la fuite la nuit précédente avec son lit et ses bagages. Ce petit garçon qui vous lance des pierres s'invite un jour par surprise au Chapelet de la petite communauté :
-Pour qui veux-tu prier ?
-Pour moi.
-Et qui d'autre ?
-Pour moi. Priez pour moi...
Des histoires comme celles-là, Sylvain aimerait en vivre par centaines, ne parler que du côté positif de la mission. Mais on n'en a pas toujours la possibilité.
Voilà 16 ans que Point Coeur existe dans ce bidonville. Ca marchait. Les choses ont changé. "Les gens commençaient à nous voir comme un centre social. On leur devait quelque chose. Il n'y avait plus de gratuité dans nos rapports. Et notre présence dans le quartier ne tenait aussi qu'à nos relais. Les gens semblaient de plus en plus indifférents à ce qui pouvait nous arriver". Sylvain aussi a connu ses journées de solitude. Et pour tous, au fil des jours, la sécurité n'était plus assurée. "Les gens étaient mangés par la peur. Ils ne disaient rien des caillassages, des vols."
Alors la maison Point Coeur a fermé. Sylvain est parti à Buenos Aires terminer sa mission. Un échec ?
"Non. Si on a aimé c'est une réussite. Peut-être qu'on a semé des petites choses là-bas. Comme le dit son fondateur, Point Coeur ce n'est pas une solution. C'est un signe. Cela ne veut pas dire que cela n'a pas été douloureux de partir."
Et Sylvain dans tout ça ? demande alors le Jacques Chancel des café-bars. Sylvain le presque toujours souriant, le presque juvénile, le rieur, le mystique, le toujours prêt ? Toujours prêt.
"C'est Dieu qui nous guide, il m'a appelé en Argentine. Dieu sait pourquoi. Moi ma volonté c'est d'être disponible. Toujours disponible à la volonté de Dieu. Quelle sera la suite, je ne sais pas."
Depuis un moment l'ingénieur se pose la question de la prêtrise. Sûrement depuis plus longtemps qu'il ne l'avoue. Bien avant qu'il ne parte en Argentine. La décision n'est pas encore prise. Pas "complètement" dit-il. Il ne sait pas s'il doit être prêtre ou père de famille.
Pour le moment, il est chômeur chez papa-maman.
Au monde du travail, il doit montrer qu'il est "indispensable", ce qui n'est pas vraiment sa disposition d'esprit naturelle .
Au monde de l'esprit, il montre qu'il est disponible, ce qui ne le met pas vraiment au travail.
Un entre-deux difficile.
On dirait bien qu'aujourd'hui c'est Sylvain qui attend son signe. A moins que ce soient les enfants de Santa Fé qui lui en aient déjà envoyé un. Ou Dieu sait qui. Prière de répondre, SVP.